CBA François PIOTROWSKI
« Dimanche 9 mars 8h nous embarquons dans l’A400M où nos pulka sont entassées. Nous sommes déposés, une escale et 6h de vol plus tard, sur la piste de la station Mestersvig. Le froid nous saisit à la sortie de l’avion -26°C, presque 50°C plus froid qu’au moment de notre départ. Le sol est glacé et les réacteurs de l’avion font tomber la moitié du groupe lors du déchargement. Quelques échanges amicaux avec le 25e RGA puis nous allons installer notre camp aux abords de la station.
Lundi et mardi sont deux journées consacrées à la coopération avec les Danois. Nous faisons le tour de la station, échangeons sur l’armement anti ours, bénéficions d’une présentation de leurs motos neige ainsi que d’un briefing complet sur l’exercice en cours mené par le JACO. Après une présentation de notre matériel de raid auprès de la Z team de l’air force Danoise (tente, pulka, ski, duvet…) nous finissons la préparation du matériel.
Mercredi matin nous quittons la station en direction du nord sur le fjord. Les pulkas sont lourdes 70kg et la neige est mole. Tout le détachement prend conscience de l’effort réel que le raid va exiger.


En deux jours nous avançons de 25 km dans le fjord et nous nous installons jeudi au pied d’un sommet près du glacier que nous devons ensuite remonter. Jeudi 13 Arnaud a le droit à des ballons sur sa pulka pour fêter ses 46 ans. Les GCM ont pensé à tout. Il fait -23°C.
Vendredi (-22°C) le projet et de faire une première ascension à ski mais la neige trop mauvaise nous fait opter pour une reconnaissance des accès du glacier pour le lendemain. Nous y passons 5h sur plus de 10km. Le glacier serpente entre le relief et il y a des crevasses à éviter pour réussir à y prendre pied. Cette reconnaissance nous sera bien utile le lendemain.
Samedi (-22°C) nous tractons péniblement les pulkas sur le glacier. Le premier ressaut est le plus raide et les GCM à la trace ne déméritent pas. Nous avançons de 5km pour seulement 300m de dénivelé.
Dimanche (-20°C) et lundi nous remontons lentement l’immense glacier sur 20km. Le terrain est alpin et splendide.Dimanche16, j’ai également droit à des ballons une belle banderole pour mes 40 ans. Installés au camp lundi, nous décidons de lancer une reconnaissance du col à franchir le lendemain afin de trouver l’itinéraire entre crevasses et séracs. Le glacier est tourmenté et le col prévu initialement est en réalité une face de 200m. Heureusement un deuxième col se dévoile, ça passera !
Mardi 18 (-25°C), nous nous lançons dans les 300 derniers mettre vers le col. Il fait froid, c’est raide et le passage sous les séracs est relativement « safe » mais impressionnant. Nous avons tiré nos 70kg individuel sur 1500m de dénivelé. Arrivé au col, la météo nous gâte : pas de vent et une bonne visibilité. Nous lançons rapidement la manœuvre visant à creuser une tranchée dans l’énorme corniche afin de descendre en deux rappels avec les pulkas. Le chantier va durer 3h. Nous installons le camp au pied de l’autre côté. NB : la pulka est lourde en monté, en descente elle l’est tout autant mais fait en plus très peur à celui qui doit la retenir. Il fait -11°C la température est agréable.
Mercredi (-26°C), est une journée exceptionnelle où nous nous laissons glisser sur 20km. La visibilité est bonne ce qui permet de bien voir les crevasses pour les éviter. Le crux est passé. Nous nous installons sur un lac gelé au pied de plusieurs sommets que nous envisageons de
skier.
Jeudi 20 nous nous reposons, faisons sécher les duvets et profitons du soleil pour recharger les batteries. Le CCH Emerick a un souci à l’œil, il a besoin de repos et il partage la tente du médecin. Tout est sous contrôle. Il fait -15°C c’est agréable.
Vendredi nous sommes scotchés. Il tombe 50 cm de neige sans visibilité. Standby, lecture et repos. La température est vraiment douce il fait -6°C.
Samedi et dimanche nous nous lançons à l’assaut de deux sommets 1000m au-dessus de nous. Les pentes sont sous le seuil fatidique des 30°C donc acceptables, le manteau semble stable et il n’y a eu aucun vent. La trace se mérite mais les descentes sont extraordinaires ! Le beau temps revient avec une chute des températures. Le thermomètre passé sous les -30°C. Lundi 24 nous quittons la zone. Retour au tirage de pulkas dans 50cm de neige. Même à plat ou en légère descente nous n’avançons pas et l’effort est intense. Nous optons pour la traversée d’un lac à priori moins enneigé, l’enfer ! L’eau courante a créé une fine pellicule de glace et nous baignons dans la slush par -20°C, les peaux gèlent et les pulkas deviennent des cubes de glaces. Nous optons pour le passage en crampons. Cela nous permet de nous déplacer sur la glace vive et de chercher les passages secs. Nous regagnons un peu de terrain. En une journée nous faisons 8 km alors que le terrain descend et installons le bivouac en fond de vallée avec une vue sur des troupeaux de bœufs musqués, placides, en boule dans la neige et a priori pas au courant qu’il fait -30°C depuis plusieurs jours.
Mardi (-30°C) matin, Emerick vomit et a de la fièvre. Seulement une trentaine de kilomètres nous séparent de Mestersvig. J’appelle le JACO pour demander sa récupération en motoneige. L’efficacité des Danois est sans appel, 2h plus tard il est récupéré et mis au chaud. Nous passerons les jours suivants à redescendre le fjord vers la station en ayant tiré les pulkas sur plus de 100km et 1500 de D+ ».



























