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Enchaînement Pilier Girod – Massif des Ecrins

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Pas si facile d’emprunter la plume du GMHM après Max qui par sa prose ou la pointe de son piolet a écrit des pages du groupe qui m’ont tant inspiré, mais je m’y risque quand même.

20 Juillet, avec Léo nous sommes assis au sommet de l’Ailefroide Occidentale ; souriant même si le retour à la Bérarde s’annonce long, nous sommes comblés.
Nous observons notre parcours de ces 3 derniers jours : La Meije, le Dôme puis l’Ailefroide.

Le fil conducteur de cet enchainement est Pierre Girod, ouvreur prolifique des années 50 dans ce massif, expert dans l’art du tirer-pousser, pratique indispensable ici pour ne pas partir avec une prise, voir un pan de montagne !

C’est Léo qui a imaginé cet enchaînement, un prétexte pour parcourir ces 3 belles faces nord et passer du temps ensemble en montagne.

Arrivé au groupe début juin, on ne peut pas dire que mes débuts aient été fracassants, séances de cramponnages sur la mer de glace et courses dans les pierriers ont rythmé mes premières semaines dans l’armée, jusqu’à la libération t’en attendue avec l’obtention de mon proba.

C’est donc sur-guronzé et sans hésitation que j’accepte la proposition de Léo. J’ai déjà longuement entendu parler des capacités de vélocité de ce dernier et je ne sais pas trop où j’en suis physiquement, mais son relâchement et son optimisme sont contagieux.
C’est détendu et plein de flegmes que nous attaquons notre première journée avec une montée au refuge du promontoire. Notre stratégie pour la première course est simple, grimper vite pour savourer notre sandwich sommital au plus tôt et être vite de retour à la Bérarde pour se refaire une santé en ingurgitant le plus de produits diététiques possibles à savoir glaces, frites et pizzas.

Le 18 juillet, nous attaquons le pilier diagonal en face nord de la Reine Meije à
5h du mat. Léo commence et donne le rythme, l’itinéraire est assez logique, et il semble que notre cordée trouve rapidement ses automatismes et son rythme de croisière.
Après un départ dans des gradins, l’itinéraire rejoint le fil du pilier et franchi ou contourne ses ressauts. Le lever du jour est splendide et le rocher correct, que demander de plus?

A 8h30, nous sommes au glacier carré, Léo m’explique que même si notre voie s’arrête ici, la vue du sommet serait quand même plus agréable pour notre pause sandwich. 20 minutes plus tard nous déballons notre précieux casse-croute et profitons du panorama.
La descente jusqu’à la Bérarde se déroule sans anicroche, notre plan déroule !

Dimanche 19, le réveil sonne à 2 heures. La partie la plus désagréable de notre projet va commencer, la longue remontée de la moraine du vallon de Bonne Pierre. A 6h nous sommes à l’attaque du pilier central de gauche. Léo m’annonce fièrement qu’avec cette approche nous avons fait plus de la moitié de l’enchaînement… quand je regarde les 1000m de roches instables qui se dressent devant nous, j’ai du mal à suivre son raisonnement …

Cette fois c’est moi qui ouvre les hostilités, bien décidé à tenir notre rythme de la veille. En une grande longueur de corde tendue, nous sommes au pied du « nez », crux théorique de l’itinéraire. J’enfile mes chaussons espérant gagner du temps dans ce passage raide.

Finalement l’excès de confiance induit par ces babouches, me pousse à la faute ; je me retrouve à faire des mouvements bien plus durs que prévu, sur des points douteux…
Arrivé au relais, je me dis que pour la suite les grosses m’obligeront au moins à suivre l’itinéraire emprunté par nos aïeux dans les années 50, au plus facile !

Après avoir vidé 2 fois mon rack de friends, la tour grise caractéristique en vue, je passe la main à Léo.

Avec sens de l’itinéraire et délicatesse, il parvient à nous faire progresser efficacement dans une zone de « rocher » peu consistant sans même me faire basculer un frigo dessus !
Nous choisissons de rejoindre le sommet par la variante Cambon qui contourne la tour grise et rejoint le fil de l’arrête, plutôt que de sortir par la voie originale qui rejoint la sortie du couloir Mayer-Dibona et son rocher douteux.
Sur le fil, le rocher est de nouveau bon et les longueurs pourraient être décrites comme « belles » par certains adorateurs du massif.

Cette fois c’est à 11h30 que nous dégustons chacun notre demi-pizza sommitale. Nous basculons ensuite versant sud à la brèche Lory, et après une désescalade sans encombre, nous nous laissons glisser sur les névés pour rejoindre le refuge Temple-Ecrins et son plat de lasagnes. Nous passons le reste de l’après-midi à nous prélasser au soleil et à étudier la dernière étape de notre périple.

Le 20 c’est grasse mat, réveil à 3h30 ! Nous n’avons que 600 mètres de dénivelé pour attaquer la face, mais nous savons que ce sera sûrement la journée la plus longue de cet enchaînement.

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Grâce à des cairns bien placés et à la magie du GPS, nous réussissons à ne pas nous perdre dans cette nuit sans lune. Au lever du jour nous distinguons la face, mais quelle est cette énorme traînée de pierres qui coupe le glacier en deux?!

Une face de la montagne a du s’écrouler la veille, on l’apprendra plus tard, entraînant avec elle une bonne partie de la voie « La croisée des chemins » ouverte par Arnaud Guillaume et Pascal Dauger en 2001.
Après une rapide analyse, nous comprenons que notre voie n’est pas exposée à cet éboulement, le seul danger réside dans sa traversée.
Nous décidons ensemble de continuer.

Un peu avant 6 heures, nous attaquons le socle, ce dernier nous occupe plus de temps qu’escompté, mais Léo est déchaîné et plie l’affaire rapidement. Arrivé à la bande de neige caractéristique, il me tend le matos et me lance « mets y un bon coup », phrase devenue le rituel de chaque relais.

L’itinéraire est moins évident à trouver que les jours précédents, nous comprenons mal le topo, mais après une cheminée encombrée de gros blocs et une traversée délicate sur du rocher verglacé, nous rejoignons un couloir caractéristique.
La magie des poulies micro-trac peut enfin opérer, et en corde tendue les longueurs défilent presque autant que nos blagues douteuses, pleines de sophisme.

Nous rejoignons la plaque du haut en même temps que le soleil. Les 2/3 inférieurs sont en super conditions, la neige dure nous permet d’avancer rapidement sans trop nous fatiguer.
L’ambiance dans ce toboggan suspendu est démente ! Le dernier tiers en glace, nous demande un dernier effort pour atteindre le sommet peu après midi.

Cette fois le repas sommital est plus frugal, un simple paquet de viande séchée. Tout en profitant du moment, nous observons la descente qu’il nous reste à effectuer pour rejoindre la Bérarde …

Après être descendus par la voie normale, nous remontons au col de l’Ailefroide, un rappel et une désescalade nous permettent de basculer versant Pilate.
La traversée d’un long pierrier nous fait prendre pied sur le glacier de la Pilate et nous rejoignons le refuge du même nom. Quelques boissons et parts de tartes plus tard, nous entamons notre descente sur la Bérarde.

Les difficultés derrière nous, nous pouvons savourer pleinement la réussite de notre enchainement. Je repense aux journées qui viennent de s’écouler, à mon arrivée au GMHM et à l’accueil bienveillant que j’y ai reçu, tout en songeant déjà aux projets qui nous attendent. Mais d’abord ce sera burger à la Bérarde !

Chasseur Thomas AUVARO