Les derniers passages difficiles de l'arête

Intégrale de Peuterey en hiver

L'Intégrale de Peuterey vue du côté italien du tunnel du Mont-Blanc
L’Intégrale de Peuterey vue du côté italien du tunnel du Mont-Blanc

Après le travail de volume en foncier, place à l’entrainement spécifique : la grimpe en montagne. Toujours dans une optique de préparation d’expédition, nous décidons avec les grimpeurs du Shishapangma de partir pour une bonne bavante en hiver. L’Adjudant Sébastien Moatti ayant un empêchement de dernière minute, ce sont les trois militaires du rang du GMHM qui assurent. Le Caporal-Chef Sébastien Ratel et les Chasseurs Max Bonniot et Antoine Bletton forment une cordée. Nous souhaitons nous rapprocher des conditions d’expédition et optons pour un objectif assez long et engagé : L’intégrale de Peuterey.

Cet enchaînement d’itinéraires est une des plus longue arête d’Europe qui monte et descend pour sortir en son toit après 4500 m de dénivelé positif.

Au programme : Arête Sud de l’Aiguille Noire de Peuterey – Descente à la brèche Sud des Dames Anglaises puis traversée à la brèche Nord – Arête Sud de l’Aiguille Blanche de Peuterey puis descente au col de Peuterey – Sortie au Mont-Blanc de Courmayeur (puis au Mont-Blanc) par l’arête de Peuterey.

Ayant déjà parcourus, en été, cet itinéraire au cheminement complexe, nous mettons un peu plus de chance de notre côté. Une journée est nécessaire pour préparer les sacs. L’équation n’est pas si simple : Emporter le strict minimum d’équipement pour ne pas avoir des sacs trop lourds, et en même temps, emporter assez de gaz et nourriture pour ne pas souffrir trop de la faim ; emporter assez de vêtements chauds pour ne pas souffrir trop du froid ; emporter assez d’équipement de montagne pour protéger correctement notre grimpe.

Le Dimanche 9 mars, à 5h du matin, nous sommes de l’autre côté du Tunnel du Mont-Blanc, prêts pour un beau voyage. La première journée est assez relax. Nous rejoignons le refuge non gardé de la Noire aux alentours de 10h et après une pause pasta (Italie oblige) nous amenons les sacs au pied de l’itinéraire.

Réveil à 4h00 ce lundi matin.

Les traces de la veille ont bien regelées et nous attaquons la grimpe de l’arête Sud. Assez rapidement nous nous rendons compte que nous ne sommes pas rapides ! Il ya pas mal de neige dans cette arête pourtant ensoleillée et peu haute en altitude. Une neige sans cohésion, comme du sucre, versant Est nous oblige à pas mal de nettoyage pour grimper et protéger correctement. A ce jeu, Seb et Max se partagent les longueurs de tête et nous arrivons à 17h au sommet… de la pointe Welzenbach. Autant dire à la moitié de l’objectif fixé. Tant pis, la vire est confortable, nous reprenons des forces et dormons allongés.

Mardi 11 Mars, réveil à 5h.

Il nous faut environ 1h30 pour s’extraire des duvets, préparer et ingurgiter le petit déjeuner, remettre le matériel d’alpinisme et reprendre la grimpe. Lever de soleil magnifique, premières longueurs avec les premières lueurs…Assez vite, le rythme ralentit et nous arrivons dans la difficile pointe Ottoz. Seb prend la tête pour des longueurs cotées 5c. Malgré notre bon niveau d’escalade, nous avons pas mal de difficultés à nous mouvoir avec les crampons aux pieds et un gros sac sur le dos. Les efforts pour gagner quelques mètres sont vite anéantis par des rappels pour descendre aux prochaines brèches, et ainsi de suite… C’est un peu le principe d’une course d’arête et ça que nous sommes venus chercher. Néanmoins nous parvenons au sommet de la pointe Bich, d’où nous pouvons admirer la vierge sommitale qui nous tend les bras. Un dernier rappel nous pose sur une vire. Abrités du vent par un gros bloc, nous passons notre 2eme bivouac dehors, une centaine de mètres sous le sommet de la Noire.

Mercredi 12 Mars, 4eme jour.

Max dirige le petit échauffement matinal pour nous réveiller, rejoindre la vierge et le sommet. C’est donc avec les yeux bien ouverts que nous plongeons dans les rappels impressionnants. Au 3eme, la corde se coince et à force de tirer dessus, une pierre finie par se décrocher pour venir couper notre brin à 10 m de son extrémité. Nous continuons les rappels avec un brin de 50 m et l’autre de 60 m, en priant un peu pour ne pas les coincer ! 11h nous voici dans la brèche Sud des Dames Anglaises qu’il nous faut traverser. Je prends la tête pour une succession de passages d’escalade peu difficile et de rappels. Nous arrivons à 17h00 au bivouac Craveri. Sorte de demi tonneau métallique providentiel posé dans la brèche Nord des Dames Anglaises. Nous nous abritons du vent à l’intérieur et pouvons enfin nous reposer. L’équation est assez simple maintenant. Nous avons mis 4 jours pour arriver la, alors que nous en avions prévu 3. Si nous continuons à ce rythme nous allons être rapidement à cours de gaz et nourriture : ½ soupe et ½ repas pour ce soir !

Jeudi 13 Mars : « Summit Day »

La nuit à l’abri nous a fait du bien. Seb reprend la tête, remonté comme une horloge suisse. Il connaît le terrain et cours littéralement dans les vires Schneider. Nous arrivons au Sommet de l’Aiguille Blanche de Peuterey sans encombres puis après 4 rappels au col de Peuterey, notre emplacement supposé de bivouac. Il est 13h et la météo est vraiment top pour la suite de la journée : pas de vent en altitude ! Nous décidons de partager notre dernier ½ repas et après 1h de pause nous reprenons la grimpe. C’est mon tour de diriger les opérations. Le terrain est moins raide, la grimpe moins technique par le couloir Eccles, mais l’arête de Peuterey qui suit est en glace noire. La grimpe en crampons des jours précédents a bien arrondi nos pointes et avec seulement 3 broches nous devons nous faufiler entre les rochers. Néanmoins bien motivés pour sortir de ce voyage hivernal nous gagnons le sommet du Mont-Blanc de Courmayeur à 18h30. Les dernières lueurs du jour sur les Aravis nous réchauffent un peu et nous voici au sommet du Mont-Blanc à 20h, éclairés par nos faibles frontales. Malgré la fatigue nous partageons la joie d’être ici tous les trois. Chacun a du surmonter ses doutes et ses peurs, sortir de sa zone de confort pour gagner ce Mont-Blanc en hiver. La descente par la voie normale jusqu’au refuge du goûter est vite avalée. Nous trouvons dans le refuge d’hiver un peu de gaz, de la soupe et du chocolat qui sont les bienvenus !

Vendredi 14 Mars, 6eme jour.

Il ne nous reste qu’à descendre du goûter, rejoindre les Houches et la civilisation. Le couloir du goûter en super conditions nous permet de perdre vite de l’altitude et il nous faut 2h pour rejoindre le téléphérique de Bellevue puis la ville de Chamonix par les bus. Un bon repas au soleil, en terrasse, arrosé de grands cocas met un terme à ce voyage magnifique. Malgré 6 journées difficiles en montagne, l’entraînement hivernal nous a permit de tenir le coup jusqu’au bout. Maintenant place au repos et dans deux semaines… le Shishapangma.

Chasseur Antoine Bletton.