Fin de l'éperon

Eperon Walker en hiver

Le 24 Décembre nous partons avec Maël Baguet pour un beau voyage en montagne. Nous choisissons de grimper la voie Cassin dans la mythique face nord chamoniarde. Parcourir cet itinéraire historique et magnifique en été peut s’avérer exposer aux chutes de pierres, notamment des cordées précédentes. Nous optons donc pour le beau créneau hivernal de la fin de l’année pour nous lancer dans une face particulièrement sèche…

Départ de Chamonix par le premier train du Montenvers, à 10h. Nous franchissons la rimaye à 16 heures après avoir quelque peu brassé pour faire la trace. Cet horaire ne nous laisse, à cette époque de l’année, qu’une petite heure avant le crépuscule. Nous grimpons environ 200 mètres et déjà l’atmosphère des Jorasses nous saisit. Quelle chance de grimper ici par cette météo clémente. Aucun risque objectif, un beau créneau assuré par Yan Ghizendanner, notre routeur de Météo France et surtout une face juste pour nous!

Déjà le plaisir de se retrouver en montagne dans ces conditions se ressent. Nous avons pris de quoi tenir trois bivouacs et nous avons le temps de profiter de cette ligne ouverte il y a près de 80 ans! C’est en grimpant ces voies historiques qu’il est possible de prendre la mesure des exploits du passé. Que ce soit pour leur ouverture, leurs répétitions en solo, en solo hivernal ou bien encore en enchaînement solitaire. Toutes ces pages de l’alpinisme qui se sont tournées ici font partie des motivations qui nous poussent à suivre les traces des plus anciens. C’est aussi un peu une sorte de rite initiatique! Il est bien évident que le niveau atteint par nos ainés dans les années 80-90 nous parait tout simplement extrême… Mais si nous voulons grimper ici en hiver ce n’est pas pour rivaliser avec ces géants de l’alpinisme, tout juste pour profiter à notre tour de ce terrain de jeu génial et s’éclater, progresser, avec en fond le plaisir de s’élever sur cette voie mythique!

Le second jour dans la face nous permet d’aborder les premières difficultés. Nos velléités de libre sont vite réduites à néant alors que nos crampons font des étincelles dans les dalles qui séparent le dièdre Allain du dièdre Rébuffat! Qu’à cela ne tienne, on passe à l’arrache avec des bouts de pendule, quelques pas d’artif et nous débouchons à la mi journée au pied d’un des plus beau passage de la voie avec le dièdre de 75 mètres. Complètement adapté à la progression en dry tooling, nous profitons des coincements de lames parfaits et de l’esthétisme de ces trois longueurs sur un excellent rocher. Les protections sont très bonnes et on peut se lâcher pour grimper en libre. De nombreux pitons ainsi qu’une multitude de fissures pour se protéger avec des friends, une verticalité bien présente et une ambiance qui se fait de plus en plus sentir! Cette voie est à coup sûr un podium des plus beaux moments en montagne pour nous deux.

La nuit nous surprend dans un passage malcommode, juste après le fameux pendule. Mais c’est aussi ça l’alpinisme hivernal! Les journées sont courtes et il faut rogner un peu sur les marges du jour. Nous prenons donc le temps et avançons à la frontale dans ces quelques mètres de 5b déversant avant de rejoindre le bivouac que nous convoitions. Nous nous y installons et profitons des lueurs magiques d’une pleine lune qui se lève déjà. Maël fait ronronner le Reactor et nous fêtons Noël avec un magnifique saucisson et de très bons lyophs!!

Comme la veille, nous laissons le réveil de 5h30 nous tirer d’une nuit réparatrice et nous déjeunons tranquillement avec ces Lyo Food si délicieux! La première longueur alors que le jour se lève et c’est parti pour un gros morceau de la voie avec les fameuses dalles noires. L’escalade y est vraiment intéressante, je m’éclate dans chaque longueur, c’est un passage vraiment sympa. Il faut pitonner un peu, chercher son chemin parfois et surtout faire confiance à ses crampons dans ce terrain essentiellement rocheux avec des rétablissements verglacés. Un vrai régal!

Nous rejoignons alors le lieu du second bivouac effectué par Cassin à l’ouverture. Au dessus de nous, une cinquantaine de mètres de 5 sup/6a verticaux. Le rocher y est encore particulièrement solide. Nous avons pris pour cette voie pas mal de matériel ce qui nous permet de progresser en sécurité en réalisant de grandes longueurs. Gérer le tirage et vivre intensément ces beaux mouvements est la seule chose que nous faisons. L’escalade est absorbante!

Après une courte pause Maël prend le relais sur le fil de l’éperon, nous quittons les crampons ce qui nous permet d’être plus rapide dans ces dalles peu raides. Le vent souffle un peu et la température n’est plus si douce! Nous filons à notre troisième bivouac, au névé triangulaire.

C’est encore un bel emplacement que nous nous terrassons, à environ 3900m. Nous avons déjà gravi un beau morceau des difficultés. Il reste pour demain la cheminée rouge en mauvais rocher et nous accèderons à une zone plus roulante. Nous passons une nuit plus frisquette où nos grelottons. Le vent souffle modérément mais cela suffit à nous refroidir. Etant donné les conditions météo nous sommes partis un peu light sur l’équipement mais les -10 du bivouac nous rappellent quand même que 14 heures de nuit en hiver… c’est long!

Le réveil nous pique, les bras sont massés, le dos aussi! Le leader doit grimper avec un sac non négligeable et le second fait le manard derrière avec le plus gros des deux. C’est notre quatrième jour et la sortie du duvet reste un moment peu agréable! Mais une longueur de pente en neige pour sortir du névé triangulaire nous réchauffe et nous attaquons les cheminées avec le sourire. Pour gagner du temps je grimpe le passage raide sans les crampons puis les rechausse pour la suite des évènements. L’escalade en grosse est tellement plus instinctive qu’en dry tooling! Une petite traversée avec de très bonnes prises rend l’escalade athlétique et ludique. Encore une fois que du plaisir.

Nous réalisons ensuite une jolie longueur dans la « dalle fissurée », protégée par de nombreux pitons puis nous rejoignons le pied de la Tour Rouge. Maël réverse pour rejoindre un couloir par une longueur difficile en mixte avec un passage déversant vraiment classe. Il poursuit jusqu’au sommet de l’éperon où nous retrouvons enfin le soleil. 10 derniers mètres en neige facile et c’est le sommet de la pointe Walker. Il est midi, il fait bon au soleil!

La descente sur Plampincieux se passe bien, nous suivons les traces de Mathieu Maynadier, Julien Ravanello et Arnaud Guillaume qui avaient grimpé hier dans des conditions apparemment bien chaudes, l’Hyper couloir des Jorasses. Cette trace nous simplifie la vie pour l’itinéraire dans le reposoir et sur le glacier. Nous retrouvons Maëlle et Céline au bar devant de grandes bières bien fraîches à la tombée de le nuit.

Merci!

Caporal Bonniot